GONG XIAN et KUNCAN

GONG XIAN et KUNCAN
GONG XIAN et KUNCAN

Théoricien et artiste chinois, Gong Xian a illustré admirablement, dans son art, ses préceptes théoriques. Dans sa peinture, exclusivement vouée au paysage et évocatrice d’un univers immobile et muet, entièrement déserté de toute présence humaine, la rigueur austère de la structure est enveloppée d’une aura de mystère. Son langage plastique, limité et monotone, possède un accent unique qui exerce une fascination d’énigme. Son registre est étroit, mais il lui appartient en propre et manifeste une totale autonomie à l’égard des courants de son siècle. Alors que ses contemporains se réclamaient tous des modèles Yuan, Gong semble ignorer ceux-ci, à la seule exception de Wu Zhen, dont il peut avoir reçu une certaine influence. En ce qui concerne les maîtres Ming, il professe une admiration particulière pour Shen Zhou, dont le gros pinceau et l’encre généreuse avaient justement commencé à perdre la vogue au profit des nonchalances élégantes et de l’intelligente sécheresse mises à la mode par Dong Qichang. Si l’on veut vraiment chercher des antécédents à la peinture de Gong, c’est plutôt du côté des maîtres Song qu’il faut se tourner.

Comme Gong Xian, le peintre Kuncan, qui était moine, a passé une grande partie de son existence à Nankin, le principal foyer intellectuel de la région du Jiangnan.

Sa peinture est individualiste sans pour autant s’inscrire à contre-courant de son époque: l’influence de Dong Qichang d’une part, et, d’autre part, celle des maîtres Yuan (Wang Meng en particulier) y sont manifestes, et cela correspond bien aux vogues artistiques du temps. Mais il réussit à convertir ces influences au service d’une vision originale et puissante. Il y a moins de diversité dans son art que dans celui d’un Shitao, par exemple, mais plus de robuste constance, et un souffle plus large.

Gong Xian, un ermite sensible aux tourmentes de l’histoire

Les jeunes années de Gong Xian sont mal connues. Probablement était-il issu d’une famille modeste; on ignore s’il est jamais entré dans la carrière administrative; dans l’affirmative, il n’aura pu y occuper qu’un rang subalterne. L’essentiel de ce que l’on sait de lui, outre ce que révèlent ses propres écrits (inscriptions de peintures et poèmes), repose sur les témoignages de divers lettrés influents qui admiraient son art et avec qui il fut en relations d’amitié.

La plus grande partie de son existence s’est déroulée à Nankin; c’est là qu’il se lia avec les membres de la Société du renouveau: Fu She, un de ces clubs d’intellectuels si caractéristiques de la fin des Ming, qui, dans la même ligne que le groupe de Donglin, entreprenaient de repenser la philosophie chinoise dans une perspective politique de critique révolutionnaire. Lorsque la Société du renouveau se trouva persécutée et dissoute par la répression gouvernementale, Gong Xian, à l’instar de ses compagnons, dut pour un temps disparaître dans la clandestinité. Il ne reparaît à Nankin que pour y assister à la fin d’un âge: en 1645, les armées mandchoues s’emparent de l’ancienne capitale; toute son élite dispersée par la tourmente, la ville est livrée au pillage. Gong Xian s’éloigne à nouveau; quand il regagnera Nankin dix années plus tard, le décor urbain luxueux et raffiné qu’il avait connu pendant près d’un demi-siècle n’était déjà plus qu’un songe, et c’est à peine si, parmi les ruines, il retrouvera un ou deux des brillants compagnons de sa jeunesse. Ensemble ils nourriront, pour le restant de leur vie, la nostalgie des jours enfuis, la haine des usurpateurs mandchous et le rêve désespéré de voir se rétablir la dynastie légitime.

Gong Xian s’installe dans une très modeste retraite campagnarde aux portes de la ville. Il y mènera désormais la vie d’un ermite, mais d’un ermite qui reste intensément aux écoutes de son époque. Il conserve des contacts avec les irrédentistes Ming, et du fond de sa solitude il suit leurs entreprises avec une attention passionnée, comme en témoignent plusieurs de ses poèmes. Son isolement adopté, et par mesure de précaution, et par manière de protestation à l’endroit du nouveau pouvoir, était d’ailleurs plus symbolique que réel: tant ses positions politiques que ses accomplissements artistiques lui valaient l’admiration et les visites nombreuses de toute une élite d’intellectuels et d’artistes. Parmi les premiers, on mentionnera surtout le célèbre dramaturge Kong Shangren (1648-?); celui-ci le fréquenta assidûment durant les deux dernières années de sa vie et put recueillir auprès de lui des témoignages directs sur le drame des derniers jours de Nankin qui devait former le thème de son chef-d’œuvre, L’Éventail aux fleurs de pêcher – Taohua shan. Du côté des peintres, Gong fut considéré comme la principale figure du groupe de Nankin, qui ne constituait pas une école homogène mais plutôt un rassemblement de contemporains poursuivant chacun leur développement original.

L’existence matérielle de Gong était fort précaire; il vivait de sa peinture, et aussi de l’enseignement de la peinture. Ce dernier point est important; il devait être un excellent professeur, doué d’un grand sens pédagogique: il subsiste plusieurs versions graphiques, accompagnées de notes explicatives, de son cours d’initiation à la peinture, lequel se signale par ses qualités de clarté didactique et le caractère concret et progressif de sa méthode. Son élève et ami, Wang Gai, devait en faire son profit en composant son fameux Manuel de peinture du jardin du grain de moutarde. Cet ouvrage connaîtra une fortune prodigieuse et exercera une influence déterminante, non seulement sur la peinture chinoise, mais même sur toute une part de la peinture japonaise; on y retrouve les traces évidentes de l’enseignement de Gong; le seul point sur lequel Wang se soit écarté de son maître étant constitué par la place importante faite aux modèles anciens dont Gong, lui, préférait largement s’affranchir.

À côté de cette activité artistique, qui a occupé le meilleur de son temps durant toute la dernière partie de sa vie, il s’adonna aussi à des travaux littéraires: on lui doit une édition de poésie Tang; quant à ses propres poèmes, le recueil complet Xiang caotang ji s’en est perdu, et il n’en subsiste plus que des fragments dispersés. Dans ses dernières années, déjà assombries par la pauvreté, il eut encore à souffrir les persécutions d’un personnage officiel qui voulait le forcer à exécuter des calligraphies (aux époques Ming et Qing les artistes réputés, lorsqu’ils n’appartenaient pas eux-mêmes à la classe mandarinale, devenaient facilement les victimes des mandarins locaux); ces persécutions hâtèrent sa fin. Kong Shangren pourvut aux frais des funérailles, et, salut du poète au peintre, pleura son ami défunt en plusieurs poèmes.

Le théoricien et l’artiste

Les théories picturales de Gong Xian se trouvent consignées dans un traité Les Secrets de la peinture – Hua jue – ainsi que dans les nombreuses inscriptions tracées par l’artiste sur ses œuvres. Le traité est constitué en fait par une compilation des notes que Gong Xian avait écrites en marge des esquisses et démonstrations graphiques destinées à ses élèves, aussi présente-t-il un caractère d’initiation élémentaire à la technique picturale, très simple et concret. La théorie esthétique est plus développée dans les inscriptions de peinture. Pour Gong Xian, le fondement de l’art réside dans la nature; avec la nature pour guide, le peintre doit développer une création autonome, affranchie des stéréotypes et des écoles. On retrouve ces mêmes idées chez les autres grands contemporains de Gong Xian, les individualistes du XVIIe siècle, chez Shitao en particulier qui les exprimera avec le plus d’éloquence. La différence entre Shitao et Gong Xian est que le premier hausse la théorie esthétique sur le plan abstrait et universel de la philosophie, tandis que le second la relie toujours étroitement à l’expérience concrète de la technique picturale.

Une autre idée essentielle de Gong Xian est que le peintre doit atteindre l’originalité – qi – par des moyens équilibrés – an. La vertu d’équilibre est illustrée par les peintres professionnels qui possèdent une grande sûreté de métier, mais qui manquent d’inspiration spirituelle; les lettrés, au contraire, expriment plus aisément une invention originale, cependant que la solidité équilibrée du métier leur fait souvent défaut; à tout prendre, cette maladressesheng – inspirée est préférable à la banalité stable des professionnels, l’idéal n’en restant pas moins d’asseoir l’originalité sur un équilibre naturel. Gong Xian s’interroge sur les relations qui unissent art et réalité: l’art est une illusion, mais une illusion nourrie de réalité; le paysage peint doit être tout à la fois conforme à la logique des paysages réels et animé d’une invention créatrice qui lui confère son caractère d’étrangeté unique, naturel sans être ordinaire, plausible et pourtant singulier.

Aux maîtres Song, Gong Xian a emprunté cette technique d’une peinture lente, à la texture dense, nourrie de couches successives qui peuvent aller jusqu’à six et sept épaisseurs de surpeints. Aussi chez lui l’«encre» (les valeurs tonales) prend-elle le pas sur le «pinceau» (le graphisme): le trait a tendance à se dissoudre dans un pointillisme tonal qui suggère les variations de lumière sur les volumes et crée à l’entour des objets cette sorte de touffeur sombre, vivante et mystérieuse qui est la marque unique du maître. Gong Xian appartient à cette race d’artistes pour qui l’intériorité compte plus que le spectacle; pour creuser plus profondément son domaine propre, il se refuse les métamorphoses chatoyantes (en cela, il est l’exact opposé de Shitao). Il aborde assez rarement les grands formats; sur les larges surfaces son procédé, si original pourtant, aboutit facilement à un effet de répétition assez fastidieux. Mais il excelle dans le feuillet d’album et s’y montre mieux capable de renouvellement. Artiste d’une conscience admirable, il n’était pas assez «désinvolte» (yi ) pour satisfaire les goûts de son temps. Aujourd’hui, en revanche, cette peinture méditative et dense exerce directement son appel sur la sensibilité moderne.

Kuncan: moine et artiste

Kuncan est le nom monastique de Liu Jieqiu; il est souvent désigné par son surnom de fantaisie Shiqi. Il est né au Hunan en 1612. On ne sait presque rien de la première partie de sa carrière. Vers l’âge de quarante ans, après la chute des Ming, il se fait moine. L’état monastique était pour les loyalistes Ming tout à la fois une manière d’échapper aux pressions du nouveau pouvoir et l’occasion de manifester un refus protestataire à l’égard d’un ordre politique illégitime. Cette motivation politique est certainement intervenue aussi dans la vocation monastique de Kuncan – il ne cessa d’exprimer sans équivoque sa fidélité aux Ming et son hostilité aux usurpateurs mandchous –, mais à la différence de tant d’autres moines «d’emprunt», tel Shitao par exemple, il fut un ascète authentique, un religieux érudit et dévot.

En 1654, il arrive à Nankin où il résidera, pour le restant de sa carrière, au monastère de Baoen d’abord, puis à celui plus retiré et paisible de Niushoushan. Il se trouve en relations avec l’élite lettrée de la ville et entretient des rapports avec les loyalistes Ming et des esprits politiquement avancés comme Qian Qianyi et Gu Yanwu. Son activité picturale, attestée dès 1657, se développe surtout après 1660 et lui vaut une notoriété considérable. Mais, à travers tout, il reste d’abord un moine qui édifie son entourage par ses macérations et ses longues retraites. D’une complexion chétive, il avait une âme haute et intransigeante, un tempérament solitaire et taciturne.

Essentiellement paysagiste, à l’inverse de ses contemporains, il pratique peu le feuillet d’album et cultive surtout les grands formats. Kuncan est par excellence le maître des compositions touffues et complexes, animées d’un tourbillonnement baroque (en cela on retrouve l’inspiration de Wang Meng). Chez lui cependant la richesse de la texture n’aboutit jamais à un esthétisme gratuit, elle est constamment soutenue par une force intérieure âpre et sévère. Il témoigne d’une grande originalité dans le maniement de la couleur: celle-ci n’est plus confinée dans son rôle traditionnel de simple rehaut ornemental et facultatif; utilisée dans des tons soutenus, elle est souvent constitutive de la forme au même titre que l’encre.

On ignore à quelle date est mort Kuncan. La mention, dans un catalogue ancien, de deux peintures respectivement datées de 1690 et 1692 n’est plus acceptée aujourd’hui comme un élément convaincant de sa chronologie; il se pourrait, en fait, que Kuncan soit mort avant 1680.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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